Les récentes tensions dans les territoires d’Uvira et de Fizi, au Sud-Kivu, illustrent une problématique complexe et souvent tragique : comment protéger la faune sauvage tout en garantissant la sécurité des populations humaines ? L’issue du conflit qui oppose les défenseurs de la faune et les habitants, face aux menaces posées par des animaux sauvages tels que les hippopotames, soulève des questions cruciales sur la gestion des ressources naturelles et la coexistence entre l’homme et la faune dans un contexte de vulnérabilité environnementale et socio-économique.
L’hippopotame, une espèce protégée en conflit avec les populations locales
L’hippopotame, un animal emblématique de la faune congolaise, est classé parmi les espèces protégées par la loi congolaise n° 14/003 du 11 février 2014 sur la conservation de la nature.
Cependant, dans certaines régions du Sud-Kivu, la présence de ces animaux devient une source de tension. L’incident survenu le 30 novembre 2024 dans le village de Kabimba, où un hippopotame a été abattu par des militaires des FARDC, en est une illustration tragique. L’animal, qui s’était approché de la zone militaire, a été perçu comme une menace immédiate après qu’un soldat ait été attaqué, incitant à son abattage pour sauver des vies humaines.
Cet événement a déclenché l’indignation des défenseurs de l’environnement, qui dénoncent un « crime environnemental » et soulignent l’ironie de l’implication des forces armées dans un tel acte.
L’organisation REMADIE, qui milite pour la protection de la faune, a fermement réagi, promettant d’intenter une action judiciaire contre les responsables de ce massacre. Cette situation montre bien le dilemme auquel sont confrontées les autorités locales : d’un côté, la nécessité de protéger les populations contre des animaux sauvages qui peuvent être dangereux, et de l’autre, l’obligation de respecter les législations de protection des espèces.
Une menace pour la sécurité des habitants
Au-delà de l’incident de Kabimba, le problème se pose également dans d’autres villages de la région.
À Simbi, dans le territoire de Fizi, les habitants sont confrontés à un hippopotame qui, après avoir détruit des cultures agricoles, menace la vie des paysans.
La plainte déposée par l’autorité locale, M. Kiza Kilozo Félicien, auprès du procureur du tribunal de paix de Fizi, demande l’abattage de l’animal pour protéger la vie humaine. Cette situation est d’autant plus préoccupante que les attaques de l’hippopotame sont fréquentes et peuvent être fatales. Selon les témoignages des habitants, les paysans, terrorisés, vivent dans l’angoisse constante d’une agression.
Les autorités locales, tout en reconnaissant l’importance de la faune pour l’équilibre écologique, placent la sécurité humaine au premier plan.
La question qui se pose est alors de savoir si la vie humaine doit primer sur celle de l’animal, en particulier lorsque l’animal représente une menace immédiate pour la population. Les autorités demandent une action rapide, mais les défenseurs de l’environnement insistent sur le fait qu’il existe d’autres solutions que l’abattage.
L’opposition des défenseurs de la faune : pour une gestion durable
Les défenseurs de l’environnement à l’exemple de la SOCEARUCO-Sud Kivu par exemple, se sont fermement opposés à la demande d’abattage.
Selon cette organisation, la loi congolaise interdit expressément l’abattage des animaux protégés comme l’hippopotame, et l’argument selon lequel la sécurité des habitants justifie cette action est une pente dangereuse qui pourrait ouvrir la voie à d’autres violations de la législation environnementale.
La SOCEARUCO plaide pour une gestion responsable et durable de la faune, notamment à travers des méthodes de refoulement ou de déplacement de l’animal, afin de garantir la sécurité des habitants sans enfreindre la législation.
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L’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN), responsable de la gestion des espèces protégées, est appelé à intervenir rapidement pour trouver une solution qui concilie la sécurité des populations et la préservation de l’hippopotame.
Le recours à des stratégies non létales, comme l’utilisation de clôtures, de dispositifs de dissuasion ou même de transfert de certains animaux dans des zones moins peuplées, est envisagé par les défenseurs de l’environnement.
Une question de gouvernance et de concertation
Cet affrontement entre la sécurité humaine et la protection de la faune soulève également des questions plus larges sur la gouvernance et la concertation entre les autorités locales, les experts en faune sauvage et les communautés rurales.
Dans des régions comme le Sud-Kivu, où les défis socio-économiques sont immenses, les populations rurales sont souvent confrontées à des dilemmes entre leur survie immédiate et des considérations environnementales.
Le manque de ressources et d’infrastructures nécessaires à la gestion des espaces protégés, ainsi que l’absence de solutions à long terme pour résoudre les conflits homme-faune, exacerbent cette situation.
En outre, les tensions sur le terrain révèlent également une fracture dans la perception de la conservation : pour certains, la faune représente un patrimoine à préserver à tout prix, tandis que pour d’autres, elle est perçue avant tout comme un obstacle à la vie quotidienne et à la sécurité.
Une meilleure communication et une gestion plus inclusive sont essentielles pour trouver des solutions viables et durables, qui ne se limitent pas à des réponses de court terme mais qui intègrent également les besoins des communautés locales.
Vers une solution équilibrée
La cohabitation entre l’homme et la faune dans les zones rurales du Sud-Kivu est une question épineuse qui nécessite une approche équilibrée, respectueuse à la fois des besoins humains et des impératifs de conservation. Il est impératif que les autorités congolaises, en collaboration avec les acteurs locaux et les organisations environnementales, trouvent des solutions innovantes pour gérer les conflits homme-faune.
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Cela pourrait passer par une meilleure sensibilisation des populations, le développement d’infrastructures de protection plus efficaces, et l’application de politiques de gestion durable qui prennent en compte les spécificités locales tout en respectant les engagements internationaux en matière de protection de la nature.
En attendant, les tragédies comme celle de Kabimba rappellent qu’en l’absence de solutions adaptées, les vies humaines et animales continueront de s’entrechoquer, avec des conséquences dramatiques pour les deux parties.